L'Événement | Azerbaïdjan, France
En marge des joutes diplomatiques avec Bakou, la chasse aux potentiels informateurs locaux de la DGSE
La détention provisoire du Français accusé par Bakou d'espionnage au profit de la DGSE a été prolongée, alors que la France et l'Azerbaïdjan ont engagé une nouvelle passe d'armes diplomatique. Dans le même temps, un Azerbaïdjanais en exil se présentant comme un informateur du service de renseignement français s'est vu refuser l'asile par Paris.
Les échanges de communiqués peu amènes entre les ministères des affaires étrangères de France et d'Azerbaïdjan ont remis sur la table l'épineux dossier de Martin Ryan, ressortissant français accusé par Bakou d'espionnage au service de la France et emprisonné depuis le 4 décembre 2023.
Après la publication par le Quai d'Orsay, le 4 septembre, d'une alerte aux voyageurs français se rendant en Azerbaïdjan, stipulant que ces derniers s'exposent à un risque "d'arrestation, de détention arbitraire et de jugement inéquitable", le porte-parole du ministère azerbaïdjanais des affaires étrangères a répliqué en invoquant "une distorsion de la réalité" et précisant qu'"un seul citoyen français, Martin Ryan, a été arrêté en Azerbaïdjan". Cela, une semaine avant la condamnation à trois ans de prison du décorateur de cinéma et artiste Théo Clerc par un tribunal azerbaïdjanais, pour avoir réalisé des graffitis à Bakou (IO du 25/06/24).
Martin Ryan, dont la détention provisoire a été de nouveau renouvelée jusqu'au 4 janvier, n'est toutefois pas la seule source humaine avec laquelle interagissaient des membres de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) en poste sous couverture diplomatique dans le pays (IO du 11/01/24). L'une d'elles, un journaliste azerbaïdjanais aujourd'hui en exil, Etibar S., a d'ailleurs directement interpellé la DGSE.
Un informateur côté azerbaïdjanais
Demandeur d'asile en France depuis décembre 2021 après avoir fui son pays, Etibar S. revendique aujourd'hui avoir coopéré avec des officiers traitants de la DGSE à Bakou en 2018 et 2019, qu'il n'avait pas identifiés en tant que tels à l'époque. Une collaboration qui lui a valu d'être repéré et interpellé par la police et le service de sécurité d'État d'Azerbaïdjan (DTX).
Selon des documents fournis par Etibar S. dans le cadre de sa demande d'asile, ce dernier a été sollicité pour plusieurs missions d'identification de réseaux russes, de réseaux de hackers, ainsi que de numéros de téléphone. Les consignes lui étaient envoyées sur un papier à en-tête d'une société dénommée UE IT Consulting. Si aucune trace de cette dernière n'est visible en ligne, il est indiqué sur plusieurs documents consultés qu'elle serait "partenaire d'Eurogroup Consulting", une société de conseil en gestion des affaires implantée à Courbevoie. Contacté, Eurogroup Consulting a indiqué ne pas connaître d'entreprise nommée UE IT Consulting.
Etibar S. a évoqué deux interlocuteurs d'UE IT Consulting qui se seraient présentés sous les pseudonymes de "Ludovic Martin" et "Dany Buck". Les services azerbaïdjanais les ont décrits, au moment de son arrestation, comme officiers des services français. L'adresse mail utilisée par UE IT Consulting n'est plus en activité.
Un courrier à la DGSE resté lettre morte
Le 22 janvier, dans le cadre de la procédure de demande d'asile d'Etibar S. devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), qui a été rejetée, son avocate a envoyé un courrier à la DGSE, qu'Intelligence Online a pu consulter. Cette missive, réclamant une protection pour son client, a fait l'objet d'un accusé de réception mais n'a reçu aucune réponse.
Selon son avocate, Etibar S. aurait rempli "des missions diverses de cybersécurité et d'identification de propriétaires de lignes téléphoniques en échange d'une rétribution". Il aurait ensuite été "identifié par les autorités azerbaïdjanaises", puis "contraint d'identifier sur photographies des diplomates français en Azerbaïdjan".
La famille de Martin Ryan a elle aussi envoyé un courrier à la DGSE, le 17 mai, dans lequel elle fustigeait la "désinvolture" des officiers du service sous couverture diplomatique avec lesquels l'entrepreneur échangeait et qui ont été expulsés d'Azerbaïdjan en décembre 2023.
Michel Barnier, un premier ministre sur liste noire
La presse arménienne a relayé sans tarder la nomination de Michel Barnier au poste de premier ministre. Sans omettre de rappeler la réaction de Bakou à la visite effectuée par celui qui était alors conseiller aux affaires internationales de Valérie Pécresse, aux côtés de celle-ci et du sénateur Bruno Retailleau en Arménie, en décembre 2021, dans le cadre de la campagne présidentielle française. Comme détaillé par Intelligence Online, le trio s'était rendu en toute discrétion, dans un véhicule banalisé, dans la région du Haut-Karabakh – "Artsakh" en arménien – et en avait visité la capitale, Khankendi – "Stepanakert" en arménien (IO du 31/01/22).
Le président d'Azerbaïdjan Ilham Aliyev, informé du voyage après coup, s'était montré particulièrement agacé, ce qui a entraîné quelques joutes verbales par presse interposée avec Valérie Pécresse, amenant même cette dernière à déposer plainte pour "menaces de mort" à Paris le 15 janvier 2022. Ilham Aliyev a notamment assuré que les autorités de Bakou, si elles avaient été tenues au courant de ce déplacement, via le corridor de Latchine alors sous contrôle azerbaïdjanais, n'auraient pas laissé repartir le trio sur le sol arménien. Michel Barnier, aux côtés de Valérie Pécresse et de Bruno Retailleau, ainsi que de leur équipe accompagnatrice, figurent depuis lors sur la "liste noire" de Bakou.
Retrouvez cet article dans :