Sur une vidéo apparue sur le Twitter sinophone le 23 avril, un étranger en uniforme, usant d'un anglais teinté d'accent français, reste allongé dans l'herbe aux côtés d'un pilote qui se présente comme un officier de l'Armée populaire de libération (APL) en Chine. Son indicatif pilote : Bronx. Les deux hommes se seraient éjectés d'un avion d'entraînement JL-10 dans la province d'Anhui. Selon nos informations, au moins trois anciens pilotes de chasse français, dont a minima un ayant opéré sur des Rafale de Dassault, ont déjà participé à ces formations de vol pour l'armée chinoise. Des pilotes américains et australiens ont également été approchés.

Pour Pékin, l'organisation de tels exercices permet d'apprendre à l'APL, en quête de compétences et d'informations sur les armées occidentales, les modus operandi et les règles d'engagement de l'armée de l'air française. Il s'agit aussi d'observer les réflexes et les méthodes de combat des pilotes, autant d'informations utiles en cas de conflit.

TFASA, l'opérateur au cœur du programme

Toujours selon notre enquête, ces formations secrètes des pilotes de la grande puissance rivale des pays occidentaux sont assurées via une société sud-africaine, Test Flight Academy of South Africa (TFASA). Celle-ci recrute d'anciens pilotes d'armées de l'air occidentales avec un salaire alléchant - selon nos informations, certains se sont vu proposer jusqu'à 30 000 $ par mois -, puis les envoie en Chine.

TFASA assure depuis plus de dix ans les formations et entraînements des pilotes commerciaux chinois en partenariat avec l'Aviation Industry Corporation of China (AVIC), l'entité parapublique qui construit les avions de ligne - en collaboration avec les deux leaders Boeing et Airbus Group -, les hélicoptères et des avions de chasse - comme le JL-10 pour l'APL. TFASA opère une coentreprise avec le géant aéronautique chinois, AVIC-International Flight Training Academy (AIFA), qui forme des pilotes commerciaux chinois et africains. Lié à la Nanjing University of Aeronautics and Astronautics (NUAA), TFASA mène notamment ses formations en matière d'aviation civile dans la province du Liaoning. Il forme également sur les avions de la Comac, filiale d'AVIC, qui a vocation à devenir le troisième avionneur mondial.

Pour les hélicoptères, TFASA forme au modèle d'attaque Z-10 construit par Changhe Aircraft Industries Group (CAIG) et China Helicopter Research and Development Institute (CHRDI), ainsi qu'au Z-8 de transports de troupes d'Harbin Aircraft Manufacturing Co (HAMC).

Un opérateur au passé complexe

Le passé de TFASA s'avère complexe. Fondé comme un institut public en 1998 sous le nom de National Test Pilot School (NTPS), celui-ci avait dû fermer ses portes en 2003 du fait, selon la société, de pressions américaines, en raison - déjà - des liens de NTPS avec la Chine. La même année, le centre de formation revit le jour sous le nom TFASA, privé, mais avec le soutien du gouvernement sud-africain.

La structure renaît sous l'impulsion de son président depuis lors, Jean Rossouw, un ancien pilote de la South African Air Force (SAAF) devenu chef ingénieur des vols d'entraînement d'Advanced Technologies and Engineering (ATE), le mythique intégrateur franco-sud-africain fondé par le pilote français Henri de Waubert. Décédé au printemps 2020, ce dernier s'était illustré dans les contrats les plus ardus des années 1980 - assurer l'arrivée de pilotes français pour opérer les Mirage de l'armée de l'air irakienne pendant la guerre Iran-Irak, ou encore moderniser les avions russes de flottes africaines (Algérie, Libye, Tchad, etc.) avec de l'avionique occidentale. ATE a finalement été racheté en 2013 par le magnat sud-africain de la défense Ivor Ichikowitz (IO du 12/12/12).

En Afrique du Sud, TFASA dispose de vastes aires aériennes d'entraînement, dans les cieux de la pointe du cap de Bonne-Espérance, et dans les terres au-dessus d'Oudtshoorn. Pour mener ses exercices en Afrique du Sud, TFASA loue d'ailleurs des Mirage F1 de Dassault et des Cheetah de Saab retirés du service de l'armée de l'air du pays. La plupart des F1 sud-africains ont été rachetés par Paramount, le groupe d'Ichikowitz, à partir de 2006. La société se targue de pouvoir fournir des pilotes ayant également volé sur Eurofighter (conçu par BAE Systems, Airbus Group et Leonardo) Gripen de Saab et Tornado de BAE.

Contre-espionnage à la carte

Les pilotes occidentaux désireux de franchir le pas ne sont pas vus d'un bon œil par les services de renseignement de leurs pays d'origine. Déjà fortement mobilisé sur la menace d'ingérence chinoise, le contre-espionnage australien, l'Australian Security Intelligence Organisation (ASIO), en lien avec l'armée, leur retire leur security clearance sitôt informé et les menace d'un procès.

Comme le relatait Intelligence Online (IO du 04/09/19), Washington a eu connaissance de ce risque dès 2019, et aucun pilote américain n'a, selon nos informations, passé le cap. En France, le contre-espionnage militaire, la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), n'a pas confirmé avoir connaissance de pilotes français engagés en Chine.

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