Alors que s'ouvre aujourd'hui la COP29 à Bakou, l'agence de relations publiques Havas, dirigée par Stéphane Fouks, multiplie les campagnes de communication vilipendant le gouvernement d'Azerbaïdjan.

L'une des dernières en date est un e-mail envoyé le 5 novembre, proposant à des journalistes de s'entretenir avec François Zimeray, ancien ambassadeur de France pour les droits de l'homme (2008-2013) désormais à la tête de son cabinet d'avocats, Zimeray & Finelle. En partenariat avec Havas, ce dernier est, selon les termes du mail, "tout à fait disposé […] à s'exprimer sur le rôle de la diplomatie française et l'importance de concilier sécurité, droits humains et action climatique".

Méandres d'alliances

Contacté au sujet de ce partenariat, Havas précise que François Zimeray "ne travaille pas au quotidien" avec l'agence, mais qu'il "est assez engagé sur la question". Il a en effet saisi le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) au nom de familles de victimes arméniennes déplacées de force par Bakou. Cela, dans la droite ligne de son engagement pour Israël, dans le cadre du conflit avec le Hamas. Avocat de familles de victimes des attaques du 7 octobre 2023, François Zimeray milite en effet pour qualifier ces attaques de "crime de génocide et tentative de génocide", selon un mémoire déposé début octobre au bureau du procureur de la CPI.

Tel-Aviv est cependant en bons termes avec Bakou, fidèle client de son industrie de défense et de renseignement. Soutien infaillible du pays lors des deux dernières guerres contre l'Arménie, en 2020 (IO du 08/12/20) et en 2023 (IO du 03/10/23), Israël attend désormais de l'Azerbaïdjan qu'il rende la pareille et assure son rôle "d'avant-poste" du Mossad face à l'Iran, dans la nouvelle séquence du conflit au Moyen-Orient (IO du 07/10/24).

Liens d'affaires en Russie

Havas enchaîne les campagnes pour l'organisation Free Armenian Prisoners qui milite pour la libération de 23 prisonniers arméniens en Azerbaïdjan, en particulier l'homme d'affaires Ruben Vardanyan. Ce dernier, ministre d'État de la région arménienne du Haut-Karabakh (ou Artsakh) de novembre 2022 à février 2023, a été arrêté en septembre 2023 par le service des gardes-frontières azerbaïdjanais (DSX) et demeure emprisonné en Azerbaïdjan (IO du 18/06/24).

Ayant gagné en notoriété en Arménie ces dernières années via ses activités philanthropiques, Ruben Vardanyan a bâti sa fortune en Russie, en bons termes avec les autorités, via son ex-banque d'investissement russe Troika Dialog, qu'il a dirigée jusqu'à sa vente et sa restructuration au sein de l'actuelle SberBank. En 2019, une fuite de données bancaires surnommée "lavomatic Troika" a mis en lumière un montage financier réalisé par Troika Dialog entre 2006 et 2013 pour faire sortir discrètement de l'argent de Russie via la Lituanie et divers paradis fiscaux.

Ayant renoncé à sa citoyenneté russe en 2022, Ruben Vardanyan a conservé des réseaux d'affaires dans le pays : en octobre, la presse arménienne a fait part du transfert des actions restantes de l'homme d'affaires dans la société russe Avtoinvest à Dmitry Artyakov. Ce dernier est le fils de Vladimir Artyakov, premier directeur général adjoint du conglomérat d'armement parapublic Rostec et ancien gouverneur de la région russe de Samara. Avtoinvest est l'un des actionnaires du fabricant russe de poids lourds KamAz, dont Troika Dialog a longtemps été actionnaire, et qui est aujourd'hui très présent en Azerbaïdjan.

Tournée européenne et américaine

Chez Havas, la consultante chargée du dossier, Anahit Akopian, est présidente du Comité de défense de la cause arménienne (CDCA). Dans le cadre de sa campagne de soutien à Ruben Vardanyan, l'agence a organisé, mi-octobre, une tournée de conférences de Paris à Washington, en passant par Lyon, Marseille, Bruxelles et Londres, portant sur les conditions de détention des otages en Azerbaïdjan ainsi que sur la situation sécuritaire précaire en Arménie.

Plusieurs militants des droits de l'homme ont pris part à cette tournée, dont Artak Beglaryan, ancien ministre d'État du Haut-Karabakh ; Karnig Kerkonian, avocat au sein du cabinet américain Kerkonian Dajani, et Arman Tatoyan, ex-défenseur des droits d'Arménie désormais à la tête de la Tatoyan Foundation.

Répercussions

La vaste palette de clients de Havas inclut aussi l'industriel français de l'eau Saur, qui s'est retrouvé malgré lui impliqué dans les guerres informationnelles entre Paris et Bakou. Son directeur chargé de la région Moyen-Orient, Anass Derraz, apparaît dans une enquête menée par le service de sécurité intérieure d'Azerbaïdjan (DTX). Il a été arrêté en juillet alors qu'il effectuait un déplacement professionnel à Bakou et demeure en résidence surveillée sur place (IO du 09/10/24).

Le DTX est actuellement à couteaux tirés avec Paris, et singulièrement la DGSE, depuis les expulsions croisées d'officiers de renseignement des ambassades à Paris et Bakou, fin 2023 (IO du 12/02/24).

Communicants de toutes parts

Hormis Havas, l'organisation Free Armenian Prisoners compte sur le soutien, outre-Atlantique, d'Edelman Global Advisory, l'antenne à Washington du cabinet new-yorkais Edelman du magnat des affaires publiques Richard Edelman.

Les proches de Ruben Vardanyan ne sont pas les seuls à employer des spécialistes de la communication. Le groupe de pression attitré du gouvernement arménien à Bruxelles est Rasmussen Global, dont le directeur Anders Fogh Rasmussen, ancien secrétaire général de l'OTAN, était l'invité du premier ministre Nikol Pachinian en mai. Erevan s'est également offert, de septembre 2023 à septembre 2024, les conseils de la société de communication Sanctuary Counsel, fondée par David McDonough, ex-vice-président de la défunte entreprise de communication d'influence Bell Pottinger, dans l'optique d'un rapprochement avec Londres (IO du 29/04/24).

D'autres opposants arméniens ont, eux aussi, mobilisé des soutiens. Par exemple, l'organisation National Democratic Alliance (NDA), partisane d'un rapprochement de l'Arménie avec les États-Unis, est épaulée par le cabinet de conseil et de lobbying Moran Global Strategies à Washington (IO du 25/06/24).

Alice Pontallier
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